Qu’on aime ou non s’y aventurer, qu’ils effraient ou fascinent, les cimetières intriguent ! Faisant partie intégrante de l’Histoire des populations et villages locaux, nous sommes parties en quête, en ce jour de Toussaint, du patrimoine secret, caché ou oublié dont nos cimetières regorgent. Bien souvent déplacés au cours de l’histoire, ce que l’on appelle aussi “le champ des morts” nous ouvre aujourd’hui le chapitre d’un univers minéral insoupçonné !
A l’origine, les cimetières de nos villes et villages se trouvaient à proximité directe de l’église. Ainsi, la messe dite, il n’y avait qu’à faire passer le mort par la porte donnant sur le cimetière afin de procéder à l’inhumation du corps. Plutôt pratique…
Le XIXe siècle marquera cependant un grand tournant dans cette pratique puisque les nouvelles normes et morales de l’hygiène rejetèrent en bloc progressivement tous les cimetières à l’extérieur des bourgs. De fait, la grande majorité des tombes furent déplacées, y compris la croix principale qui trônait au cœur du champ des morts ; à moins qu’elle ne soit restée sur place pour devenir de nos jours “une croix d’église”.
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A Laroquebrou par exemple, au nord de la Châtaigneraie, le premier cimetière paroissial (1330-1789) se trouvait sur une partie de la place du Foirail ainsi que dans l’actuelle avenue des Platanes, artère commerçante et vivante de la cité. Lorsque l’on marche dans cette avenue, l’on peine à imaginer qu’en ce lieu même, aux abords immédiats de l’église St-Martin, se trouvait le cimetière du bourg médiéval, en accès libre et descendant jusqu’à la rivière. Ainsi, la porte sud de l’église, décorée de sa rosace en étoile de David, permettait d’acheminer le défunt jusqu’à sa tombe.
Un élément intéressant rappelle tout de même l’emplacement de cet ancien cimetière : l’enfeu. Incrusté dans la paroi sud de l’église, il faisait office de monument funéraire dans lequel était placé momentanément le corps du défunt afin que la famille puisse lui rendre hommage avant qu’il ne regagne sa dernière demeure. Cet enfeu en l’occurrence était la propriété des Sarrauste, une illustre famille roquaise. En effet, les notables de la cité, privilégiés, avaient le droit d’être enterrés à même l’église jusqu’en 1776, date à laquelle cette pratique fut ensuite interdite. Le peuple, lui, se voyait classiquement enterré à même le sol, tout autour de l’église ; chacun voulant bien sûr disposer d’une tombe au plus près du saint édifice.
Saviez-vous que les protestants, nombreux à Laroquebrou dans la deuxième moitié du XVIème siècle et au début du XVIIème, avaient leur propre cimetière (1550-1700), à l’emplacement de l’actuelle maison de retraite ?
Comme un peu partout dans le Cantal et ailleurs, la Révolution Française marqua un tournant dans l’organisation générale des villages. Ainsi, au vu du nombre exponentiel d’habitants à Laroquebrou, et donc de décès, il fallut songer à se doter d’un plus grand cimetière et celui d’origine fut donc déplacé en 1789 au bord de la Cère, en aval du bourg, juste avant les actuels terrains de tennis municipaux. Il faudra ensuite attendre 1900 pour que l’actuel cimetière voit le jour, sur la route de St-Etienne-Cantalès.
Si l’on remonte encore plus loin dans le temps, au premier village initial de Brou, il y avait une église dédiée également à St-Martin et construite sur les restes, dit-on, d’un très ancien temple païen. Elle aussi était entourée de son cimetière dont il ne nous reste aujourd’hui qu’un sarcophage anthropomorphe à pans coupés, en granite, datant de l’ère mérovingienne et découvert en 1921 sur le site de ce village primitif. Vous pouvez de nos jours l’observer au fond de l’église de Laroquebrou. Malgré l’extrême ancienneté de ce sarcophage, on devine parfaitement la réserve céphalique ainsi que la forme du corps donné à la sépulture.
Maurs ne fait pas exception à la règle puisque la commune a compté au total 4 cimetières recensés au cours de son histoire.
Le premier se situait autour de l’église paroissiale St-Sulpice, principalement au lieu de l’actuelle “place du marché”. On le déménagea ensuite au niveau de l’ancien quartier de la Porte Vieille (actuelle Poste) dont il ne reste plus aucun vestige.
Ensuite, l’aménagement de la route nécessita le transfert des ossements au cimetière de l’Hôtel-Dieu à l’ancien hospice (route de Bagnac) et qui constitua un temps, un cimetière provisoire pour Maurs.
En 1832, encore un nouveau cimetière semble être nécessaire et les morts furent désormais ensevelis au cimetière de l’Oratoire dont il ne reste aujourd’hui qu’une petite chapelle en ruines appelée “la Capelote de l’Oratoire”. Mais qu’est-ce donc qu’un oratoire ? L’endroit est un ancien “oratorium” en latin, du verbe orare qui signifie “prier”. Un oratoire était donc une petite chapelle ou un simple lieu de prière comme une niche contenant une statue et surmontée d’une croix. La population venait ainsi y déposer des fleurs et prier devant le buste de la Vierge qui se trouve aujourd’hui au presbytère. Saviez-vous qu’il y a encore quelques années en ce même lieu, on pouvait voir “l’allée des moines” ? Composée de colonnes, elle fait désormais place à un petit jardin public.
Ce cimetière n’étant toujours pas assez grand et causant des nuisances aux habitants, il fut décidé de l’agrandir et c’est en 1839 qu’un certain Urbain Jalenques vendra à la commune un peu plus de 13 ares de terrain afin de déplacer le cimetière sur le lieu qu’on lui connaît actuellement.
A Montsalvy, 3 éléments ont attiré notre attention dans le cimetière actuel.
En premier lieu, la croix principale, de style gothique, se trouvait probablement au cœur de l’ancien cimetière de la cité qui s’étendait au pied de l’église. En effet, jusqu’au XVIIIe siècle, un cimetière dit « des pauvres » prenait place à l’arrière de l’abbatiale. D’ailleurs, des travaux effectué en 1746 au pied du chevet de l’église avaient mis au jour une série de sépultures tels que des coffres de lauzes, des tombeaux construits “à chaux et à sable” ainsi qu’un sarcophage anthropomorphe à réserve céphalique. Suite à l’édit de Napoléon III ordonnant le transfert du cimetière à son emplacement qui nous est contemporain, la croix fut déplacée à même temps que les ossements.
Ensuite, fait notoire, le cimetière de Montsalvy compte parmi ses tombes, celle du paléontologue montsalvyen nommé Marcellin Boule (1861-1942). Né dans le foyer de ses parents Régis et Caroline Boule à Montsalvy, son père le surnommait enfant «casse-tête» car le jeune Marcellin commença très tôt à fouiner dans l’ancien cimetière du bourg. Ainsi il trouva tout jeune sa vocation puisqu’une fois adulte, il occupa la Chaire de Paléontologie du Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris et on lui confia l’étude de crânes et de squelettes d’hommes de Néandertal, vieux de 35 000 ans. Il publia d’ailleurs ses résultats dans son œuvre majeure intitulée «Les Hommes Fossiles». Il est aussi à l’origine de la galerie de Paléontologie et d’Anatomie comparée du Muséum et de l’Institut de Paléontologie Humaine de Paris. Il s’employa toute sa vie à vulgariser les sciences en publiant des guides touristiques scientifiques, des manuels scolaires et en donnant des conférences. Resté très attaché à sa commune natale, Marcellin Boule y décéda en 1942.
Enfin, le cimetière de Montsalvy ne peut être dissocié de sa chapelle du Reclus dédiée à Ste-Madeleine, datant du XIVe siècle et toujours visible de nos jours. Trouvant son origine dans la légende de St-Gausbert, cette chapelle, construite sur les restes de la cellule d’un reclus, a été incluse dans les murs du cimetière en 1853.
Du côté de Boisset, dans le cœur vallonné de la Châtaigneraie Cantalienne, il faut monter sur les hauteurs du village pour trouver le cimetière. D’anciennes histoires racontent qu’il y aurait eu un château autrefois à Boisset et la chapelle St-Pierre du cimetière aurait été sienne. Aménagé en 1323 en un couvent dédié à Ste-Claire par Isabelle de Rodez (grande figure du Carladez), l’existence de ce lieu fortifié fut attesté jusqu’en 1625. Il est dit que les “filles” du Tiers-Ordre de Sainte-Claire furent très nombreuses et assistèrent les mères des familles pauvres de la région jusqu’au transfert du couvent à Aurillac au XVIIe siècle. Depuis, un autre couvent plus récent et modeste a été construit derrière l’église St-Martin.
De nos jours, plus aucune trace ni du château ni du couvent. A la place, le cimetière communal muré longe la route d’Aurillac. La chapelle du XVe siècle, seule témoin de ce passé castral, présente d’étonnantes peintures polychromes sur enduit (motifs géométriques et floraux entrelacés) datant de la première moitié du XVIIe siècle, au niveau du cul-de-four (voûte formée d’une demi-coupole), de sa clef de voûte (en ogives) ainsi que des murs ; à noter également, les décorations murales représentant un retable ainsi qu’un autel en trompe-l’œil dans le chœur de l’édifice. La toile, quant à elle, est une peinture à l’huile illustrant « Le Reniement de St-Pierre » (un des 12 apôtres selon l’Evangile considéré comme le premier Pape et connu pour avoir été crucifié à sa demande la tête en bas). Ces fresques sont classées Monument Historique depuis l’arrêté du 11/06/1955. Il faudra attendre 1986 pour voir leur restauration par Serban Angelescu, l’un des grands spécialistes français dans la restauration des fresques murales. Au niveau de sa façade ouest, sa porte d’entrée dont la voûte a été murée est aujourd’hui remplacée par une plus petite porte en bois et le toit supporte un campanile, une sorte de petite tour abritant la cloche unique.
Les villages de Roannes-St-Mary, Rouziers, Roumégoux et tant d’autres ont également vu leur cimetière transféré des abords de l’église communale à l’extérieur des bourgs, sur des terres plus propices à l’accueil du champ des morts. A Marcolès par exemple, l’ancien cimetière se trouvait au niveau du petit jardin, à l’arrière de l’église St-Martin et ce, jusqu’en 1875 où il fut transféré route de Labouygues.
Néanmoins, il existe en Châtaigneraie une commune particulière sur laquelle se trouve le plus vieux cimetière de la région. A l’heure actuelle, cette nécropole constitue même le seul cimetière isolé de l’ensemble du sud Cantal.
En effet, au siècle dernier, au lieu-dit le Bouscailloux de Ladinhac, une nécropole médiévale du VIe siècle a été découverte, témoin d’une implantation précoce des Hommes sur les sols granitiques et schisteux du secteur, peu propices à l’agriculture. D’ailleurs, la ferme implantée au Bouscailloux ne date que du début du XXe siècle. Il semblerait qu’il n’y ait pas eu d’autre construction antérieure à cette ferme, si bien que la parcelle cadastrale où a été mise au jour la nécropole avait pour nom “Cimetière”. Il s’agissait d’un bois, vraisemblablement abandonné depuis longtemps mais la présence d’anciennes sépultures s’était tout de même perpétuée au vu du nom de la parcelle.
De cette nécropole ont été extrait “environ une demi-douzaine de sarcophages en granite, tuf et pierre calcaire, vides […]. Aucune croix n’a été découverte sur le site […]. Ils sont d’époque gallo-romaine ou mérovingienne”. Comme à Montsalvy au pied du chevet de l’église, des coffres de lauzes ont également été exhumés. Cet ensemble d’environ 40 sépultures au total n’était enterré qu’à environ 40cm de la surface du sol, dans le sens est/ouest (pieds à l’est). Selon les spécialistes, les inhumations les plus tardives du Bouscailloux dateraient des XI ou XIIe siècles, suite à quoi l’abandon de la nécropole pourrait remonter au premier âge féodal.
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Sources : www.cantalpassion.com, www.laroquebrou.fr, Origines des noms de villes et villages” de JM Cassagne et Mariola Korsak, “Maurs au fil des siècles”, tome III, de Roger Jalenques et Noëlle Caumon, www.maurs-la-jolie.over-blog.com, “Montsalvy, un village passionnant”, de Raymonde Gaston-Crantelle, www.petitescitesdecaractere.com, www.geneawiki.com, www.persee.fr