S’il est bien connu que le culte en Alsace et en Moselle relève d’un régime particulier, on sait moins que ce régime est celui qui s’appliquait à toute la France avant la loi de séparation des Églises et de l’État en 1905. À cette date, ces deux régions étaient allemandes et n’ont donc pas été concernées par cette réorganisation des relations politico-religieuses de notre pays. Elles sont donc restées sous le régime du Concordat, qui prévalait dans toute la France depuis 1801.
Qui prévalait dans toute la France… ou presque. Né des tumultes de la Révolution, le concordat de 1801 infléchit l’organisation de l’Église de France en faveur de l’État. Ce dernier ne reconnut dès lors plus la religion catholique comme officielle, mais simplement comme celle de “la grande majorité des Français”, et se réserva la charge de nommer les évêques – et de rémunérer l’ensemble du clergé.
Bien entendu, au lendemain de l’abrogation de la monarchie de droit divin en 1789, des résistances s’organisèrent çà et là dans le pays contre cette réorganisation entérinée par Bonaparte et le pape Pie VII quelques années plus tard. Plus que des résistances parfois : des communautés ardemment catholiques la refusèrent purement et simplement et continuèrent de pratiquer le culte tel qu’on le faisait avant la Révolution. Il s’agissait là véritablement d’un schisme.
Parmi elles, les “Enfarinés de Cassaniouze” sont restés dans la mémoire collective des Castanhaïres. C’est néanmoins dans toute cette région de la vallée du Lot, aux confins du Cantal et de l’Aveyron, que s’illustrèrent de nombreux réfractaires.
L’évêque de Rodez fut l’un des prélats qui refusèrent de démissionner, conformément aux dispositions du Concordat, et l’influence de charismatiques abbés locaux qui suivirent son sillage fut déterminante dans la formation de cette “poche de résistance”. Mais c’est sans doute parce que la dernière famille à rejoindre le giron catholique institutionnel en 1911, les Malbert, était de Cassaniouze – du hameau de La Bécarie précisément – que l’histoire a surtout retenu le nom de cette commune.
Les Enfarinés tirent leur sobriquet du fait qu’ils avaient conservé l’habitude de se poudrer les cheveux de farine selon la mode du XVIIIe siècle. Dans les premiers temps du XIXe siècle, nombreux furent les prêtres qui continuèrent de pratiquer le culte prérévolutionnaire. Mais la pression des autorités et le temps qui passe les firent petit à petit disparaître, si bien que le culte finit par ne plus s’exercer que dans le cadre familial.
Afin de conserver le lien avec le catholicisme de naguère, les Enfarinés avaient tenu à conserver des objets de dévotion issus de l’Ancien Régime. L’eau bénite de cette époque était allongée afin d’être conservée le plus longtemps possible. Ils continuaient de célébrer les fêtes anciennes, pourtant supprimées depuis le Concordat. Ils n’assistèrent plus à la messe dès lors que leur curé disparut, ils ne se confessèrent plus, ne communièrent plus et ne se marièrent plus. Par la force des choses, leur culte finit par se laïciser. Leur survie passait par le repli sur eux-mêmes, jusqu’à l’anonymat.
Avant de s’éteindre en 1929, la dernière des Malbert, Jeanne, a légué à la commune de Cassaniouze des objets de culte ayant appartenu à sa famille. C’est dans l’église du village qu’on les découvre aujourd’hui : des livres, un chapelet, et surtout des reliques de saints authentifiées en 1671. Reconnues par les autorités épiscopales d’autrefois, donc à leurs yeux légitimes, les reliques étaient prisées par les Enfarinés.
Bien que le nom dont on les désignait semble bien sarcastique, les Enfarinés, du moins dans les derniers temps de leur existence, bénéficiaient de l’estime de la plupart de leurs contemporains, en dépit des pressions et persécutions dont ils firent l’objet pendant des décennies de la part des autorités. Leur moralité était irréprochable et ils faisaient preuve d’une grande tolérance vis-à-vis des catholiques qu’ils étaient amenés à côtoyer. Paradoxalement, le prosélytisme leur était étranger. D’où leur notoriété dans la région.
Aujourd’hui, les membres de ces communautés dissidentes, sans lien les unes avec les autres, ne sont plus que quelques centaines en France et en Wallonie. Elles sont connues sous le nom de Petite Église. C’est dans le nord-ouest des Deux-Sèvres qu’on rencontre la communauté la plus nombreuse.