A la croisée des chemins entre Boisset, Leynhac et Maurs, la chapelle Notre-Dame-du-Pont se situe au creux d’un vallon arrosé par la Rance et se blottie à l’ombre d’une petite forêt ripisylve. Visible depuis la D617 et surplombée par le château d’Entraygues dont elle a été témoin de la construction au fil des siècles, cette petite chapelle s’inscrit dans un paysage bucolique, typiquement castanhaïre. De la fondation de son prieuré en l’An de l’Incarnation 1151 à nos jours, retraçons l’évolution de cette chapelle au cours de l’Histoire…
L’histoire de la chapelle du Pont aurait pu complètement passer in cognito… En effet, il faudra attendre 1897 pour que Georges de Manteyer de l’École française de Rome trouve deux manuscrits à son sujet à la bibliothèque du Vatican. Datés de la fin du XIIe siècle et début du XIIIe, ils racontent pour l’un en latin la vie du fondateur du prieuré, Bertrand de Griffeuille, tandis que l’autre est un cartulaire en langue d’Oc. Antoine Thomas, archiviste médiéviste, présenta ces deux documents en 1908 dans la revue « Les annales du Midi ». On lui doit d’ailleurs la traduction en français de la biographie du fondateur de Griffeuille qui nous est parvenue aujourd’hui. Enfin, le magistrat et co-fondateur de la Société de la Haute-Auvergne, Marcellin Boudet repris les textes de Antoine Thomas et en amplifia la diffusion en Haute-Auvergne en 1908 et à Paris en 1909. Ainsi fut mise au grand jour l’histoire de la chapelle du Pont…
Domus del Pont était en effet le premier nom latin de la chapelle ainsi nommée « la maison du pont ». C’est à Guirbert de Marcenac, seigneur de Leynhac que l’on peut attribuer les premières donations terrestres (terres et bois) à Bertrand de Griffeuille pour édifier Notre-Dame-du-Pont. En effet, Guirbert le pria de construire sur ses terres « un oratoire en l’honneur de Dieu et de la bienheureuse Marie, mère de Dieu, et qu’il voulut qu’il s’appela la Maison du Pont ».
Il semblerait qu’aucun document à propos de Leynhac n’existait jusqu’au XIIe siècle mais vraisemblablement, le nom de Leynhac serait à rapprocher d’un soldat gallo-romain nommé Livanius ayant vécu autrefois en ces lieux ! En 1147-1148, le fort de Leynhac n’existait pas encore. Quant à la Rance, petite rivière paisible bordant la chapelle, c’est aux peuplades gauloises et à des origines celtes qu’elle doit son nom !
Bertrand de Griffeuille fut le fondateur de la chapelle Notre-Dame-du-Pont de Leynhac, mais pas seulement ! Né à Civray au début des années 1100, au bord de la Charente, à mi-chemin entre Poitiers et Angoulême, il habitait au château avec sa famille, ce qui laisse à penser qu’il faisait certainement partie de l’entourage civil ou militaire du châtelain. C’est cette vie là qu’il chercha à fuir dès qu’il fut en âge de quitter les siens pour partir s’isoler tantôt en Quercy, tantôt dans le Massif Central. En effet Bertrand était avant tout un religieux avec une vocation : devenir ermite et consacrer sa vie à la prière. Il enseigna un temps dans une abbaye à Beaulieu-sur-Dordogne puisqu’il était formé au sujet de la religion et qu’il savait lire et écrire. Dès que possible, il parti pour une vaste forêt nommée à l’époque Agrifolia et située dans la région de Laroquebrou, sur la commune de Cros-de-Montvert. Là, le seigneur des lieux nommé Guillaume de Griffeuille, se prit d’amitié pour l’ermite et lui fit don en 1122 de sa forêt. C’est de cette époque que Bertrand tira son patronyme. Avant Notre-Dame-du-Pont, il fonda plusieurs prieurés dont un à Espagnac dans le Lot ou encore Escalmels à St-Saury en Châtaigneraie Cantalienne ! Au total dans sa vie, Bertrand de Griffeuille fonda 12 chapelles auxquelles il donna une règle religieuse, celle de St-Augustin. Ainsi les religieux portaient le titre de chanoines et non de moines, pouvant ainsi vivre en communautés et au contact des fidèles, comme le voulait la nouvelle « tendance » de l’Eglise au XIIe siècle.
Une fois installé à environ 4km de Leynhac, Bertrand s’entoura de Guillaume Robert pour le seconder dans la gouvernance matérielle et spirituelle du prieuré du Pont. En effet, il y avait du bois à faire, des terres à entretenir, des jardins à cultiver… bien que le terrain de du prieuré soit exigüe et la chapelle de taille modeste (12.70m x 5.50m). Très amis, c’est d’ailleurs auprès de Bertrant que Guillaume désirait se faire ensevelir dans la chapelle lorsque son heure serait venue. Lorsque Guillaume succéda à Bertrand, il parti en quête des bonnes grâces de l’évêque de Clermont qui finit par accorder à la Maison du Pont la propriété de l’église de Leynhac, donation qui subsista jusqu’à la Révolution, soit pendant 600 ans. Deux successeurs sont connus après lui : Thomas et R. Bernard, alors prieurs du Pont, sans doute jusqu’à la fin du XIIe siècle. Saviez-vous que le cartulaire retrouvé au Vatican nous informe également que quelques femmes puissantes ont fait part de donations au prieuré du Pont ? Sans l’aide d’un homme de sa famille, Gibeline d’Ambayrac donna avec sa fille la « fasende » de la Raynaldie à Guillaume Robert en échange « de quoi aller Outremer », c’est-à-dire en Terre Sainte. Sont-elles parvenues à Jérusalem et en sont-elles revenues ? Nul ne sait… In fine, 78 donateurs sont répertoriés dans ce cartulaire.
Depuis le XIIe siècle, c’est un peu plus de 900 ans d’histoire qui nous lie aux fondations du prieuré du Pont dont il ne subsiste aujourd’hui que la chapelle Notre-Dame, désormais classée. L’intérieur renferme de magnifiques fresques des XIIIe et XVe siècles ainsi qu’une Vierge en bois doré du XVIIe. Il s’agit d’un véritable lieu de recueillement et de quiétude au cœur de la Châtaigneraie, compte tenu de tout ce que l’on sait des temps troublés de notre Histoire auxquels la chapelle a survécu.
Sources : merci au document de Laurent Beau, « Faut-il réécrire l’histoire de la fondation du prieuré de Notre-Dame-du-Pont de Leynhac » ?