C’est une chapelle un peu particulière, à l’orée d’un bois, qui surmonte le puy Capel, l’un des points culminants de la Châtaigneraie Cantalienne. Elle n’a jamais été consacrée, et pour cause, elle est le fruit de l’initiative de l’un de ces personnages rocambolesques dont le XIXe siècle regorge…
En ce temps-là, sur l’ancienne commune de Calvinet, vivait à la ferme voisine de Lavialle, un menuisier du nom de Jean Cantuel, appelé parfois Rampon de Galifaud, issu d’une fratrie de 6 frères et soeurs et né le 14 Février 1840. Son acte de baptême indiquait sa naissance à Galifon, l’ancien nom du hameau de Lavialle. La famille sera dont surnommée les « Rampon de Galifon » ou « Galifaud« .
Jean était le petit-neveu d’un abbé du village voisin de Mourjou, l’abbé Jean Maisonove (1818-1838) réputé pour l’ardeur de sa piété ; piété devenue légendaire après que l’exhumation de son corps plusieurs années après sa mort eut révélé un parfait état de conservation, « (…) le squelette apparaît intact, les bras croisés sur la poitrine avec dans les mains un calice de buis et un chapelet« .
Nous sommes aux alentours de 1850 et, à l’époque, Jean Cantuel était âgé d’une dizaine d’années. L’aura de son grand-oncle, que son entourage considérait alors comme un saint, eut un impact considérable sur l’adolescent en devenir qu’il était.
Quelques années plus tard, alors qu’il était déjà adulte, il perdit prématurément Jeanne, la jeune femme dont il était tombé amoureux. Tout inconsolable qu’il était, au dire des habitants de Calvinet qui le trouvaient régulièrement en train de se recueillir sur la tombe de sa bien-aimée, il vit sa vocation religieuse se renforcer et prendre une tournure quelque peu mystique. À tel point qu’un soir de Décembre 1879, il fit part à quelques-uns de l’apparition du Christ dont il aurait été témoin au sommet du puy Capel.
Saviez-vous que « capel » signifie « chapeau » en Occitan ? C’est à sa forme que le puy doit son nom. Ce promontoire naturel, dominant les villages de Calvinet et de Mourjou, était ainsi tout indiqué pour édifier une passerelle, entre la terre et les cieux.
Preuve à l’appui, Jean indiqua l’endroit grâce à une croix dessinée au sol et autour de laquelle l’herbe cessa dès lors de pousser. Face à ce miracle et encouragé par un auditoire acquis à sa cause, Cantuel décida que le lieu méritait bien de recevoir un sanctuaire…
Mais l’homme ne roulait pas sur l’or, loin s’en faut. En 1873, il commença donc par ériger une croix en fer sur le Puy Capel.
Puis, il consacra de moins en moins de temps à son métier de menuisier ; temps qu’il mettait à profit pour construire d’abord une petite cabane destinée à lui servir d’abri pendant les longues heures qu’il passait au sommet du petit mont. Les fonds manquèrent pour réaliser son vœu, mais qu’importe : la réputation du lieu allait croissant et les témoignages de guérison se multipliaient, en particulier ceux de mères dont l’enfant souffrait de difficultés d’apprentissage du langage. Du Cantal, du Lot ou de l’Aveyron, on venait de fort loin lorsqu’on souffrait de mal de dents, de gorge, des jambes ou de rhumatismes et l’on repartait, dit-on, guéri et soulagé.
Ainsi, d’offrande en offrande, Jean Cantuel parvint à ses fins, et sa petite chapelle sortit de terre dès 1881 grâce au concours d’un maçon du village, qui lui donna la forme d’un sécadou, le séchoir à châtaignes typique de la région.
La chapelle se caractérise de la sorte : « l’édifice est carré. La façade principale est percée d’une porte, les deux murs latéraux d’une baie chacun ; le mur du fond, auquel est accolé une planche de bois servant d’autel, est aveugle. Le tout est aujourd’hui couvert d’un toit en « shingle » découpé en forme d’ardoises (couverture refaite après la chute d’un arbre sur le toit en 1982) supporté par une charpente en bois ».
Lors de la construction, Jean a veillé à faire creuser le sous-sol car il souhaite y être inhumé à sa mort. Désormais, on parlerait du « chapelain du Puy Capel » et de « la Chapelle de Rampon » dédiée à Notre-Dame-de-la-Bienveillance.
L’entreprise de Cantuel ne fut pas vue d’un bon œil par l’Église, qui dénonçait la manière qu’il avait de démarcher, avec un peu trop d’enthousiasme parfois selon ses dires, les passants qu’il croisait sur les chemins vicinaux du secteur afin de leur soutirer quelque argent. Les efforts des autorités religieuses ralentirent les travaux d’aménagement intérieur de son oeuvre, mais il parvint tout de même à la doter du mobilier commun aux véritables églises au bout de quelques années : bénitier, statues, tronc, chemin de croix et, bien sûr, autel en bois fait de ses propres mains.
Si vous nous lisez déjà depuis plusieurs mois, vous savez qu’à cette époque encore, les cloches ont le pouvoir d’éloigner les orages… Or Cantuel avait besoin d’une cloche pour parfaire sa besogne, et donc d’argent supplémentaire, que les autorités civiles aussi bien que religieuses lui refusaient.
Au grand dam de l’Église, ce sont les cieux eux-mêmes qui vinrent en aide au trop peu orthodoxe architecte du puy Capel. Et de quelle manière… Alors que, quelques jours auparavant, Jean Cantuel s’était répandu en invectives contre la paroisse de Mourjou, promettant sous peu le passage du diable dans les murs de l’église, un terrible et impromptu orage vint mettre à mal la toiture de l’église !
Cet événement lui valut de gagner de nouveaux partisans à sa cause, et lui permit surtout de financer la fabrication de la cloche qui manquait à sa chapelle.
La chapelle de Rampon ne fut donc jamais consacrée par les Hautes Autorités ecclésiastiques et elle n’hérita pas non plus du nom de son créateur, qui ne reçu d’ailleurs pas l’autorisation d’y être enterré lorsque vint son dernier jour, le 2 Juin 1923. Après avoir vécu à la Barésie une partie de sa vie, il s’éteignit dans une grande pauvreté, à la ferme de Lavialle où il était né, entouré de ses neveux. Tout comme l’abbé Maisonove et ses parents, Jean Cantuel fut enterré dans le cimetière de Mourjou.
Par contre, si vous observez les alentours directs de la chapelle, vous verrez la petite pierre tombale de son chien, enterré comme l’indique la date gravée, en 1878.
Plus d’un siècle après, les Calvinétois n’ont pas oublié ce lieu tapi sous les arbres, discret et serein, ne serait-ce que grâce à la vue unique que le puy Capel offre vers le sud… De nos jours, on parle d’ailleurs de la chapelle des amoureux, comme en attestent les graffitis sur les murs !
Sources : www.pays-veinazes.com et francearchives.gouv