Les gorges de la Cère, petit paradis vert aux confins de l’Auvergne, du Limousin et du Quercy, n’ont pas toujours connu la quiétude qui les caractérise aujourd’hui. Et que dire de la vallée du Toursac, entre Boisset et Rouziers, qui semble si loin de l’agitation du monde, du fin fond de ses combes fraîches ? Contre toute attente, pendant plusieurs siècles, de petites fabriques y étaient florissantes : celles du verre ! De rares vestiges de cette histoire sont à découvrir en chemin…

Les verreries de la Cère
Vallée de la Cère

Lorsque l’on foule le chemin pour le moins escarpé du GR 652 qui traverse de part en part les gorges de la Cère sur 35km, on est généralement loin de s’imaginer que des Hommes y avaient jadis développé une véritable industrie. Alors que notre œil de promeneur du XXIe siècle n’y voit qu’une sorte de no man’s land verdoyant délimitant deux territoires, les gorges recèlent aux yeux des verriers toutes les qualités requises pour que leur art s’y épanouisse…

Une ordonnance de 1339 avait accordé aux verriers le titre de gentilshommes. En 1448, ils furent même exemptés de tout impôt. C’est dire le prestige que la pratique de cette activité conférait à des hommes que les nobles considéraient comme des roturiers ! La maîtrise de cet art nécessitait pourtant un apprentissage de plusieurs années, et l’on fit même venir en France des artisans vénitiens et moyen-orientaux, qui passaient pour des experts en ce domaine. Le savoir-faire se transmettait de génération en génération.

Au départ, l’établissement des premiers “gentilshommes verriers” répond à l’initiative du seigneur de Lacapelle-Marival au tournant du XVIe siècle. Conscient du potentiel de mise en valeur de son territoire grâce à la présence de ses bois et de sa rivière, Astorg de Cardaillac fit venir deux verriers actifs dans la forêt de Grésigne, entre Montauban et Albi. Ce fut le début d’une longue aventure…

En effet, le bois est le matériau de base ! Il servait à chauffer les fours, qui fonctionnaient en permanence pendant toute la durée d’une campagne, c’est-à-dire trois mois. Le second atout des gorges, c’est sa rivière. Son sable bien sûr, mais aussi ses berges, riches en fougères, dont les cendres étaient utilisées pour faciliter la fusion. Enfin, la rivière permettait de « flotter le bois ». Aussi étonnant soit-il, le matériel employé était semblable à celui que les souffleurs de verre de notre époque utilisent !

Petit secret de maîtres verriers : afin de débarrasser le verre de sa couleur verdâtre, ils utilisaient du manganèse, disponible à proximité !

Qu’elles aient été permanentes ou temporaires – la corporation étant grande consommatrice de bois -, les vingt-deux verreries activent dans les gorges de la Cère fabriquaient des pièces de verre très variées : lampes à huile, fioles d’apothicaire, carafes, vases divers, gobelets, gourdes, bénitiers… Les revendeurs venaient s’approvisionner directement à la verrerie, et il payaient souvent leur dû en morceaux de verre cassés, qui étaient refondus.

Il semblerait que les derniers fours étaient établis dans le secteur de l’Escaumels, un petit affluent de la Cère, au début du XIXe siècle. Quelques décennies plus tard, en 1870, la dernière verrerie cessa toute production, victime elle aussi de la concurrence de l’industrie mécanisée.

Les vestiges de quelques fours ont été identifiés sur les versants de la vallée, et le musée de l’Accordéon dans le village de Siran, abrite quelques œuvres produites sur place et qui s’apparentent parfois à de véritables objets d’art.

L’atrium de la mairie de Laroquebrou renferme également quelques pièces.

Par ailleurs, tout au long du GR 652, des panneaux d’interprétation font également revivre le patrimoine industriel des gorges, dont leur histoire verrière.

L'épopée du verre en Châtaigneraie (c) Archives départementales du Cantal, cl. A. Muzac, 45 Fi 10120
L'atelier du Toursac
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Si vous nous suivez depuis quelques temps, vous n’avez sûrement pas loupé notre chapitre au sujet de la légende de la forteresse de Toursac.

Pour rappel, ce toponyme désignait jadis une châtellenie comptant 16 co-seigneurs qui se relayaient pour en assurer la sécurité, soit une forteresse ou plus exactement un castrum. Ce site, implanté aux confins de Boisset, Rouziers et St-Julien-de-Toursac est à rapprocher de notre atelier de verrerie qui semble t-il, devait se trouver non loin, au bord du ruisseau, côté Vieux-Rouziers. Selon des actes notariaux de l’époque, la verrerie de Toursac était reliée à Lauressergues, sur la commune de Boisset par un chemin…

L’atelier apparaît au tout début du XVIIe siècle ; François de Boissieux, sieur de Lavaur, originaire du Livradois et du Gard y habitait avec sa femme, Françoise de Carbonnières, sœur de Gilles, sieur d’Espinadel du château de Labarthe près de Laroquebrou. Elle était apparentée avec les seigneurs de Naucaze, famille aisée géographiquement proche et détenant de nombreux bois à proximité de Toursac.

Peu d’informations précises existent au sujet de cette verrerie qui aurait pourtant été en activité plus de 50 ans… Le four était chauffé au bois qu’il fallait en grande quantité. Le sable fourni par le ruisseau devait convenir à l’élaboration du verre dont la composition s’établit selon un mélange précis de certaines proportions des matières qui fondues ensemble, donnent le verre. La matière principale est la silice à laquelle on rajoutait des fondants pour rendre le verre plus beau et pour abaisser la température de fusion. On rajoutait aussi du verre cassé ou groisil, complété par des carbonates de calcium sous forme de calcaire. Durcissant et stabilisant rendaient le verre plus dur et plus brillant alors les verriers utilisaient du carbonate de calcium ou de la chaux. Les autres approvisionnements se faisaient à dos de mules ou ânes ; moyens de l’époque utilisés également pour partir livrer les productions par les chemins escarpés.

Dans cet atelier, l’on produisait sûrement des bouteilles, des gobelets de toutes tailles, des toppettes (petites bouteilles qui correspondent au flaconnage actuel). A cette époque tout le monde ne pouvait s’offrir du verre, aussi la demande était relativement simple. Dans notre Châtaigneraie, seuls deux commerçants du verre sont cités, l’un à Lauressergues, l’autre à Brocausse de St-Etienne-de-Maurs.

Le site de la verrerie était composé d’une habitation, d’une étable, d’un séchoir et d’un four. Les verreries courraient de grands risques d’incendie. Parfois, les bâtiments étaient provisoires, ce qui permettait de les déplacer vers un autre lieu ou chantier. Il y avait du personnel subalterne, bucherons, charretiers et domestiques. Ce personnel était sûrement polyvalent, passant de la verrerie à l’exploitation agricole, quand il y en avait une et inversement. La règle chez les gentilshommes verriers était comme dans la paysannerie que les enfants, filles comprises, travaillent pour leur père tant qu’ils étaient entretenus par ce dernier, c’est-à-dire jusqu’à leur départ de la maison. Le père était maître d’apprentissage. En effet aucun contrat d’apprentissage n’apparaît dans cette corporation. Cette formation était très longue, environ dix ans, voire plus.

D’ailleurs, un certain David Grenier travaillait à la verrerie de Toursac, il épousa la fille de son propriétaire en 1630 à Rouziers. D’autres Grenier, venant comme David des gorges de la Cère, vinrent prêter main forte à leurs parents de la Châtaigneraie !

D’ailleurs, les Grenier des gorges de la Cère et de la Châtaigneraie étaient parfois surnommés « Raisin » ou bien, sieurs de Raisin. Ce nom particulier se rapporterait à une possession foncière. II doit être mis en relation avec la présence d’un cep de vigne dans les armes portées par cette branche.

Il est d’ailleurs fort probable que le village de la Verrière, dans la paroisse de Rouziers, où habitait le 1er juin 1645 David Grenier et la verrerie de Toursac où demeurait peu avant son homonyme, soient le même endroit. Au décès de ce dernier, il est possible que la verrerie de Toursac ait été reprise par Nicolas Grenier, sieur del Camp, originaire de Nègrevergne (Camps, en Corrèze).

La verrerie de Toursac n’est plus mentionnée après le 4 mars 1688, période correspond à la démolition de la forteresse ou ville de Toursac. Y a-t-il eu lien de cause à effet ?

Toursac

Sources : www.lesgorgesdelacere.fr et un grand merci au Bulletin Municipal de 2013 de Rouziers pour le recueil précieux d’informations !